Expérience face à la tablette tactile pour un jeune enfant porteur de trisomie 21.
Démarches
Une première experimentation en 2012 avec l’I pad a été réalisée dans le cadre du Service Educatif Itinérant (SEI) pour John, âgé de 3 ans. L’I pad a été introduit d’abord avec des petites chansons ou comptines, car John présente un grand intérêt pour tout ce qui est musical. La relation avec l’enseignante du SEI, sa proximité avec John ont été déterminantes pour motiver l’enfant dans cette activité.
Au tout début de l’expérimentation, John explore peu l’écran avec ses mains, il est porteur de légère trisomie 21 avec quelques traits du spectre de l’autisme. En 2013, John initie davantage ses actions avec l’I pad et touche timidement l’écran, grâce à des applications telles que « ginger cat », colorful Balloon », « Music Color » etc.…En 2014, chaque enseignante du SEI est dotée d’un I pad à disposition, ce qui permet d’exploiter davantage l’outil. Cependant, les interventions du SEI cessent dès que l’enfant est âgé de 4 ans. J’ai souhaité mettre en place une continuité dans l’utilisation et l’expérimentation de celle-ci en tant qu’outil de communication améliorée et alternative auprès de John.
Voici une liste d’applications qui a été mise à disposition par le responsable de la cellCIPS, pour le service éducatif itinérant. Elles sont toutes classées et détaillées et pertinentes pour des actions distinctes. Elles encouragent une démarche active de l’enfant par des relations de « cause à effet », tout en étant attractives et ludiques. Elles sont utiles pour l’éveil au langage, au graphisme, à l’éveil musical et au développement d’autres compétences.
La mise en lien des activités sur l’I pad avec des situations réelles (avec des objets par exemple) permet aussi de motiver l’enfant pour d’autres types d’activités.
Ensuite, j'ai contacté le délégué informatique et responsable de la cellCIPS, Mr Fisler, qui a accueilli très favorablement ma demande et mis en place une feuille de route très claire pour encadrer notre démarche. Son expertise permet de mettre en place un protocole d’accompagnement de l’enfant dans le but de développer son potentiel en matière de communication par le moyen d’outil tel que l’Ipad. Il est nécessaire de réfléchir au préalable sur les conditions d’utilisation et sur un matériel adapté , afin de travailler en cohérence et concertation avec les autres professionnels. J’ai parallèlement fais une demande à l’office de l’assurance invalidité pour la prise en charge du matériel conseillé pour l’usage, dans le cadre préconisé par la cellule de coordination de l’informatique au service de la pédagogie spécialisée. J’ai du attendre une année mais la réponse a été très favorable.
Ensuite, à la rentrée scolaire 2014-2015, avec l’accord de la responsable de l’école spécialisée de la Fondation de Verdeil locale, j’ai pu assister à un bon démarrage du projet avec le soutien d’une petite équipe pluridisciplinaire (éducatrice, logo thérapeute, conseiller informatique) pour l’expérimentation de la tablette tactile en tant qu’outil parmi d’autres d’aide à la communication, la logo thérapeute mettant à disposition ses compétences et sa tablette tactile pour cela.
Par la suite, la poursuite du projet a été compliquée car l’école de la Fondation de Verdeil a du faire face à des soucis de changement de personnel et d’imprévus surajoutés (départ de la logo thérapeute pour raison de famille, départ pour raison de santé de l’éducatrice, toutes deux impliquées dans ce projet)
C’est hélas, en général, une grande préoccupation que de trouver des professionnels thérapeutiques et enseignants spécialisés qui soient disponibles car il y a souvent plus de demandes que d’offre. En effet, les structures pour encadrer les enfants à besoins spécifiques ne sont pas en nombre suffisant et peinent aussi à trouver du personnel et n’ont pas toujours le soutien souhaité.
Cependant, en dépit de ces contraintes, j’ai été bien accueillie par la l’école de la Fondation de Verdeil pour quelques visites et observations de séances avec la logo thérapeute qui travaillait dans cet établissement avant son départ géographique.
Observations de John en séance
J’ai pu observer quatre séances ou la logo thérapeute a travaillé la focalisation du regard après un travail dans tous les axes à l’aide de rubans. Elle a aussi travaillé l’intentionnalité du geste à l’aide d’un contacteur de couleur et la relation de cause à effet de la main sur l’outil en guidance physique et la communication à l’aide de comptines chantées.
La tablette tactile à ce moment était peu utilisée, pas plus de 10 minutes dans la séance, pour toujours faciliter l’intentionnalité du geste et la notion de cause à effet, capter l’attention, favoriser une habileté avec l’outil sans le jeter ou le casser, faciliter l’exploration tactile et visuelle.
Elle a privilégié l’application « les clipounets » que l’enfant connaissait déjà avec l’enseignante du SEI. L’enfant, à ce moment, appréciait particulièrement l’image et le son qui accompagnent ces chansons du patrimoine de la chanson enfantine. Plaisir et motivation sont au rendez-vous et le regard est bien concentré.
Pour aider à la communication, elle a essayé l’application «ginger cat» car le chat reproduit les sons éventuellement émis par l’enfant. Elle n’a pas poursuivi avec cette application trouvant la vitesse de l’application trop aléatoire .Les applications avec les animaux dont l’image et le son sont associées, ont remporté un vif succès auprès de l’enfant. Exemple «zoola».
Mon expérimentation auprès de John
Pour la rentrée scolaire 2015-2016, j’ai souhaité reprendre les observations pratiques avec la tablette tactile, ayant le matériel désormais à disposition à domicile. Les expérimentations réalisées dans le cadre familier à l’enfant sont intéressantes car il y a moins de distractions et cela permet de mesurer la motivation réelle de l’enfant pour l’activité proposée.
J’ai fait appel à une enseignante retraitée, Kate Cutter, pour des séances à domicile, afin de poursuivre mes observations pratiques avec la tablette auprès de John, porteur de trisomie 21.
Nous avons choisi le thème des animaux avec l’application «Soundtouch» puisque cette application suscite de sa part un grand intérêt.
Il est capable de pointer son doigt vers les images de son choix pour trouver la photo de l’animal et le son associé. Il peut rester concentré 20 minutes sur cette application à condition d’être guidé par l’adulte.
Pour introduire des variantes et instaurer des échanges relationnels autour du jeu, j’ai aussi invité deux petites voisines qui connaissent bien John et qui ont pris plaisir à interagir avec lui en se répartissant à tour de rôle, sous forme de jeu les interactions avec la tablette et le partage de celle-ci.
J’ai aussi à disposition des jouets en trois dimensions qui représentent des images d’animaux vus sur la tablette et qui concrétisent les représentations données et permettent la manipulation des objets et la complémentarité des apprentissages.
Pour donner du sens réel à ces images et aux objets, nous sommes aussi allés visiter une ferme, un zoo et des animaleries pour observer en mouvement les animaux vivants vus sur la tablette.
Nous avons aussi utilisé les applications Baby Animals et MusicColor. Les applications Puzzles, DoDoodles, Je Dessine, Dessin’ écrire, j’apprends l’écriture cursive sont encore utilisées en guidance et de façon très ponctuelle. Il faut veiller au maintien d’une bonne posture de l’enfant pendant l’activité, je vais revenir sur ce point important au chapitre des généralités.
Chaque enfant est singulier et a besoin d’aller à son rythme de développement et selon ses motivations. Il n’y a pas de recette magique non plus avec la tablette tactile bien qu’elle soit très attractive et qu’elle ouvre un champ de possibilités multiples tant dans les loisirs que dans les apprentissages, cependant, elle doit rester un support, parmi d’autres.
L’attention ne dépasse pas 30 minutes dans le cas de mon expérimentation.
Il est important de souligner, explique l’enseignante retraitée, que les enfants «classiques» ainsi que les enfants à besoins spécifiques, peuvent ne pas manifester d’intérêt au départ d’une activité, mais que lorsqu’ils se sentent capables et qu’ils progressent dans l’activité, l’intérêt va grandir pour celle-ci.
Ces expériences sont surtout positives car John a progressé dans l’usage et l’intérêt pour la tablette tactile.
Etape à poursuivre
Parallèlement au printemps 2016, la situation dans l’école après une année difficile s’améliore et actuellement je relance le projet de communication augmentée et alternative pour John.
Les applications «go talk» et «écrire en pictos» sont conseillées pour John par le délégué à l’informatique de l’école spécialisée, Mr Dorthe.
Voici aussi à titre indicatif une liste des applications pour la tablette tactile, mises aimablement à la consultation par son service en avril 2016. Elles contiennent un descriptif détaillé, ainsi que le prix de chaque application
Recommandations sur l’usage de la tablette tactile pour le jeune enfant porteur de Trisomie 21.
La tablette tactile est très pratique de part son ultra-portabilité, sa légèreté, sa maniabilité. On peut l’amener avec soi ou que l’on aille et cela peut permettre de capter l’attention de l’enfant, illustrer ses apprentissages de façon ludique.
Compte-tenu que les enfants porteurs de Trisomie 21 ont plus de difficulté dans la vitesse de traitement de l’information en général, que leur temps de réaction est plus lent, il est important de leur laisser du temps pour se familiariser avec l’activité ou le jeu.
Les consignes doivent être courtes, claires, concises. Il est conseillé de répéter autant que nécessaire.
La présence humaine, relationnelle, encourageante dans l’activité ou le jeu à leur coté favorise la motivation et la persévérance, ainsi que le plaisir de progresser à leur rythme.
La présence de l’adulte pour guider le jeune enfant porteur de trisomie 21 face à l’exploration de la tablette tactile me semble nécessaire. En effet, c’est important de donner du sens à ce qu’il fait, de lui formuler simplement les consignes, de les lui répéter, de l’encourager, d’être tout simplement en relation avec lui face à l’écran.
Il se peut que certains enfants aient des difficultés de perception sensorielle et que la motricité de la main en soit affectée. Dans ce genre de difficulté, qui peut s’améliorer avec le temps, ne pas hésiter à soutenir la main pour travailler le geste en guidance.
Adapter la durée de l’activité ou du jeu en fonction de la fatigue de l’enfant et de sa motivation, l’encourager sans le contraindre.
Les enfants porteurs de Trisomie 21 sont très doués pour décoder nos états émotionnels du moment. Si vous êtes convaincus de ce que vous proposez, confiants, motivés vous-même dans l’activité ou le jeu partagé, cela aura un effet positif aussi sur l’enfant accompagné. En conséquence, il serait judicieux de porter son choix sur des applications testées et approuvées par vous et l’enfant. Il est préférable de charger les applications et de les utiliser ensuite hors connexion pour ne pas subir les affiches publicitaires qui gênent la concentration de l’enfant. De plus, c’est un excellent moyen de ne pas exposer le jeune enfant à des images ou des sons non voulus. C’est notre intention éducative qui prime et non pas les multiples propositions qui sont faites par le biais de sollicitations commerciales. Certaines entreprises sont redoutables pour fidéliser leurs clients, faire un maximum de profit sans forcément s’embarrasser de moralité. Attention aux applis qui proposent des achats intégrés pour pouvoir faire plus de production. Des parents ont pu avoir de gros soucis de carte bancaire débitée sur des jeux évolutifs à destination des enfants.
Veiller à travailler au préalable la posture correcte de l’enfant pour tous les apprentissages !
Selon le docteur Rosa Pérez, spécialisée dans l’accompagnement du handicap,
« L’enfant trisomique présente une immaturité neurologique qui fait que, au niveau intellectuel, il se trouve souvent à la limite de ses capacités. Pour l’aider nous pouvons essayer de corriger ou d’améliorer ce qui est susceptible de l’être. Nous ne pouvons pas agir directement sur les facultés intellectuelles, mais nous pouvons aider l’enfant à utiliser efficacement ses moyens. Parfois, il s’agit de corriger des attitudes physiques qui, indirectement, peuvent entraver le bon fonctionnement intellectuel. A titre d’exemple, une vision et une audition insuffisantes ne sont pas en rapport direct avec les facultés intellectuelles, mais si un enfant est en train d’apprendre à lire et que sa vision lui fait défaut, l’apprentissage sera beaucoup plus difficile, même s’il a une intelligence normale. De même, un enfant ne pourra apprendre à parler correctement s’il n’entend pas bien.»
La prise de postures anormales, un mauvais équilibre, une coordination motrice défectueuse, n’ont rien à voir arec la capacité de l’enfant à photographier de syllabes et des mots et à les reconstituer lors de l’apprentissage de la lecture. Mais l’hypotonie, le défaut postural, l’équilibre précaire provoque une grande fatigue physique et la tenue assise pendant de longues périodes peut être épuisante. Pour essayer de trouver une position confortable, les enfants bougent sans arrêt, ce qui a des conséquences négatives sur la concentration. Finalement, le travail en classe sur table devient très pénible pour l’élève, qui dépense beaucoup d’énergie à la seule fin de se tenir assis sans bouger.
Dans ces conditions, garder l’attention sur son travail est très laborieux. S’il est fatigué et distrait, il apprend plus difficilement. Il se démotive et peut tout simplement refuser certains apprentissages qui lui semblent trop complexes. Son entourage se démotive en même temps que lui, les enseignants peuvent baisser leurs exigences en considérant l’enfant incapable et certaines connaissances scolaires deviennent tout simplement inaccessibles.
Un enfant normalement intelligent sera capable, dans la majorité des cas de compenser ces obstacles et d’apprendre malgré tout. Mais un enfant qui est déjà limité dans ses capacités n’a pas suffisamment de moyens de compensation, ne peut pas apprendre ou apprend mal. La tentation se présente vite de laisser tomber ce que l’enfant semble incapable de faire et l’écarter des écoles ordinaires en l’orientant vers des classes spécialisées. Ici, les exigences étant moindres, l’enfant est supposé apprendre plus facilement. Or, les obstacles à l’apprentissage n’étant pas levés, les difficultés restent les mêmes.
La correction de la posture, l’amélioration de l’équilibre et de la coordination motrice ont des effets bénéfiques sur le travail sur table, en réduisant l’inconfort postural, la fatigue musculaire et les mouvements parasites, en augmentant la souplesse et l’amplitude des mouvements des membres supérieurs, en augmentant la capacité respiratoire et l’oxygénation cérébrale et musculaire. Ainsi augmentent la concentration et l’endurance au travail intellectuel. L’enfant se sent mieux, il a plus envie d’apprendre, est plus motivé… »
«Le tonus musculaire est en relation directe avec les mécanismes cognitifs qui autorisent le mouvement, mais aussi la connaissance et l’adaptation au milieu extérieur.»
Le docteur Rosa Pérez recommande l’équithérapie pour améliorer la posture de l’enfant porteur de trisomie 21
Source : «l’équithérapie» dans l’accompagnement de l’enfant handicapé mental, du docteur Rosa Pérez, paru en 2013 aux éditions «Dangles» pages 88 et 89
En conséquence, pour que l’enfant porteur de trisomie 21 prenne plaisir et progresse face à l’utilisation des nouveaux écrans, il me semble important de privilégier régulièrement à la base des activités physiques adaptées qui l’aident au niveau postural. Ce qui permettra un développement beaucoup plus harmonieux de l’enfant, évitera l’obésité qui peut être fréquente chez ces enfants, car certains présentent des dysfonctionnements thyroïdiens qui favorisent la prise de poids.
L’exposition aux écrans sera donc limitée et raisonnée en fonction des besoins spécifiques de cette jeune population.
Personnellement, je peux imaginer dans le proche futur, une combinaison du corps en mouvement et des apprentissages sur des surfaces murales avec les grands tableaux interactifs qui se développent déjà dans les écoles. Des applications spéciales pourraient se développer pour le bénéfice des enfants à besoins particuliers.